Que faut-il penser du projet de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) de recruter du personnel en Tunisie pour couvrir les besoins de la saison estivale qui commence ? On apprend que certains responsables de ce syndicat professionnel discutent depuis six mois avec l’équivalent de Pôle emploi en Tunisie, pour permettre le recrutement de plusieurs milliers de saisonniers importés de l’autre rive de la Méditerranée, avec à la clé des contrats à durée déterminée de 5 mois maximum, payés selon les grilles de salaires de la branche hôtellerie-restauration en France.
On nous dit que cette opération est exceptionnelle, qu’elle répond à une grave pénurie de personnel, et qu’elle ne se répétera pas dans le temps. Qui peut le croire ? Chacun sait que le provisoire à vocation à devenir définitif.
Les augmentations salariales négociées et validées en février dernier (environ 16% d’augmentation moyenne) n’auront donc pas été un argument déterminant pour enrayer la désaffection de personnel. Ceux qui me lisent régulièrement se souviendront que j’avais publié une chronique en avril dernier dans laquelle j’émettais de franches réserves sur l’efficacité de cet accord, estimant que le problème ne se limitait pas à des revalorisations salariales et à des améliorations de conditions de travail. Des salaires plus conformes aux attentes des collaborateurs ne suffiraient pas à régler le mal qui ronge cette profession.
J’aurai tant aimé me tromper, et délivrer un diagnostic erroné. Il convient pourtant de se rendre à l’évidence, même si la réalité est cruelle. La filière restauration a été totalement dévalorisée depuis bientôt trente ans. Les valeurs qui étaient véhiculées dans ce métier, et qui étaient source de motivation et de dépassement de soi-même sont aujourd’hui oubliées. Faire plaisir, susciter l’enchantement client, prendre soin de celui qu’on reçoit, et tant d’autres principes disparus. Comment faire pour que cette profession redevienne attirante ? Simplement en « redonnant du sens » à l’emploi à pourvoir, et en proposant un « projet de vie professionnel » aux collaborateurs.
L’Education Nationale est coupable d’avoir considéré les métiers de bouche et d’accueil comme étant des voies de garage réservées aux jeunes en difficultés scolaires ; les instances professionnelles sont responsables d’avoir jugé intarissable la source des demandeurs d’emploi, s’évitant ainsi tout effort de courtoisie, et de séduction nécessaire au recrutement de collaborateurs loyaux, fidèles et déterminés. Le secteur de la restauration dans son ensemble est coupable de négligence vis-à-vis de ses forces vives. Il paie aujourd’hui au prix fort ses manquements.
Cette opération avec la Tunisie est une échappatoire, et une solution de facilité qui évitent à beaucoup de se remettre en question et, qui exonèrent certains d’appliquer les bonnes pratiques en matière de recrutement et d’animation des équipes.
Doit-on se résoudre à accepter que ces emplois non délocalisables puissent être occupés par des personnes étrangères, fussent-elles bien formées, et de qualité ? La réponse est non. Ne laissons pas un métier qui a fait la réputation de notre pays, nous échapper. Reprenons à notre main le devenir de la restauration. Pour cela, remettons au cœur du projet entrepreneurial, l’humain, et considérons qu’il est le principal « actif » de l’entreprise.