Quel crédit faut-il encore accorder aux guides et parutions gastronomiques ? Quelle légitimité consentir aux guides Michelin et Gault-Millau ? Qui pour succéder aux grandes signatures, capables de faire ou défaire des réputations, telles que celles de Piot, Millau, Beaudoin, Couderc, ou Pudlowski ?
Dans le monde de la critique gastronomique, comme dans tant d’autres domaines, la médiocrité fait florès.
Aujourd’hui on apprécie, on juge, on condamne, on fait ou défait, sans argument, sans connaitre ; au gré des humeurs, des intérêts particuliers, ou selon l’air du temps.
On fait fi de la qualité du produit, de sa provenance, peu importe le goût ou les saveurs du plat ; seuls comptent le nombre de followers que revendique le cuisinier sur les réseaux sociaux, et sa proximité réelle ou supposée avec les « people ». Si le restaurateur coche ces deux cases, alors son établissement sera couvert d’éloges, et recevra une pleine reconnaissance.
Quelle tristesse !! Comment en est-on arrivé là ? D’aucuns affirment que la digitalisation des relations sociales, et internet sont les raisons de cette régression. D’autres sont convaincus que le texte bien écrit en parfait français, d’un expert, mariant références culinaires et sentiments personnels n’a plus lieu d’être dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Ils sont peu nombreux à penser que la paresse et le manque de culture générale sont les véritables raisons de cette pathétique situation.
On ne devient pas chroniqueur gastronomique sans passion, ni courage. C’est dans la durée que se construit la justesse du jugement, et la précision de l’analyse. Il faut beaucoup voyager, et ne pas craindre de rencontrer les véritables acteurs de l’alimentation dans les champs, les abattoirs, les fermes et les vignes. Prendre conscience qu’un produit de qualité nécessite une expertise, du temps et beaucoup d’abnégation permettra aux nouveaux censeurs d’avoir le recul nécessaire pour porter une appréciation juste. On ne peut célébrer ou discréditer la cuisine d’un chef, sans avoir au préalable réalisé un travail de recherche et connaissances produits.
Outre les connaissances techniques acquises sur le terrain, celui qui fait de la critique gastronomique son activité principale doit être doté de qualités humaines que son style littéraire exprimera au travers des lignes qu’il signera. Partage, transmission, générosité, rectitude, et éthique telles sont les valeurs perceptibles dans la prose d’un authentique journaliste culinaire. Un professionnel de la presse gastronomique reconnu et respecté privilégie toujours l’explication à la simplification, l’argumentation à l’affirmation, et la liberté d’écrire à l’autocensure.
Un critique gastronomique doit-il payer son addition en fin de repas ? A part les inspecteurs du guide Michelin dont c’est un principe, rarement un journaliste règle son repas. Peut-être parce qu’on n’ose lui présenter la note…. Le débat est ancien ; je n’ai pour ma part aucun avis définitif sur la question. A-t-on déjà vu un critique littéraire payer ses livres, un critique de cinéma payer son ticket d’entrée, ou un critique de théâtre régler son siège ? Quoiqu’il en soit, une appréciation ou un jugement fiables ne peuvent se faire que si l’anonymat de la réservation est réel. Malheureusement, de mémoire de restaurateur, on n’a jamais vu un critique/journaliste ne pas s’annoncer avant un repas.
Retrouvera-t-on un jour, des journalistes curieux de connaitre les vignerons, éleveurs, agriculteurs, ou producteurs qui font la richesse de notre gastronomie ? Peut-on espérer avoir de nouveau, des experts capables de distinguer le bon du mauvais, le beau du laid, l’authentique du faux ?
Il faut le souhaiter, car la nouvelle génération tarde à convaincre de la pertinence de ses commentaires et de la solidité de son expertise.