Guide Michelin : chronique d’un désastre annoncé

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Les gourmets, gourmands, et tous ceux qui aiment le plaisir que procure un bon restaurant, se souviendront d’un temps pas si lointain, ou la parution du guide Rouge, généralement en février, était un moment important et attendu de l’année. Certains se réjouissaient de la sélection, d’autres s’en offusquaient. Les débats, controverses, et polémiques qui en découlaient étaient toujours joyeuses.

Faut-il rappeler que le guide Michelin était dans les années 90, le livre le plus vendu en France avec une publication de 600 000 exemplaires/an. L’édition 2019 se sera vendue à moins de 45 000 exemplaires.

Pourquoi ce désamour et ce rejet de la part des lecteurs pour cette institution autant respectée que reconnue dans l’univers de la gastronomie ? Comment expliquer, la fronde et la défection de cuisiniers très en vue (Senderens, Bras, Veyrat, Roellinger, Karen Keygnaert, etc…) qui refusent les appréciations approximatives des inspecteurs, critiquent le manque de transparence, et s’opposent à la culture de l’opacité ?

Lorsque le guide récompense un restaurant, ou le sanctionne, l’éthique et la courtoisie voudraient que des explications publiques en soient données. Quels ont été les changements significatifs qui ont justifié une reconnaissance ou une rétrogradation ? Les enjeux économiques, et les retombées en terme de réputation sont tels que ces décisions mériteraient d’être motivées.

Encore faut-il avoir une vision claire et précise sur la restauration en général et sur la gastronomie en particulier pour pouvoir expliquer, justifier ou argumenter les choix.

Avoir pour seules références la « World Food » ou la « Fusion Food » prouve la vacuité et l’ignorance profonde de ce qui fait la renommée  et le succès de la cuisine française. Le Guide a trop cherché à flairer l’air du temps, et s’est perdu à courir derrière  les phénomènes de mode.

« La mode, c’est ce qui se démode » disait Jean COCTEAU. Que reste-t-il aujourd’hui de la cuisine moléculaire, et de toutes ces tendances culinaires expérimentales ? Les arrangements entre les cuisines du monde et les fondamentaux de la gastronomie française ont fini par lasser les clients, y compris les moins exigeants.

Pourquoi Michelin n’a-t-il jamais favorisé la cuisine de terroir, élaborée avec des produits issus des circuits courts ? Pourquoi n’avoir jamais encouragé et soutenu le couple cuisinier/producteur ? Peut-être parce que la posture n’est pas assez parisienne.

Porter un jugement ou une appréciation, décerner une note ou une récompense demandent une expertise qui se construit et s’acquiert sur le terrain, dans le temps long, au contact de tous ceux qui agissent avec passion au quotidien pour faire perdurer notre art culinaire.

Les dirigeants de la manufacture de Clermont-Ferrand ont fait le choix de confier les destinées du guide Michelin à des collaborateurs issus des services marketing, très éloignés des notions de plaisir, et d’enchantement qui sont le sel d’une expérience réussie au restaurant.

Le déclin du guide Rouge n’est pas récent : ce processus s’est engagé il y a une vingtaine d’années lorsqu’il a été décidé de surfer sur la « branchitude » et de plaire au plus grand nombre. Renier son ADN, s’éloigner de ses valeurs, ignorer ses fondamentaux, telles ont été les fautes commises.

La chute, est-elle inéluctable ? Non, si demain la branche Editions et Guides est cédée, et reprise par un actionnaire qui ne se résigne pas à voir disparaître un fleuron de l’Art de Vivre à la française.